Lettre aux inconnus de ma vie

Article : Lettre aux inconnus de ma vie
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1 juillet 2023

Lettre aux inconnus de ma vie

Dans le tourbillon de nos vies bien remplies, nous traversons chaque jour une multitude de visages, une foule d’inconnus qui croisent notre chemin sans que nous leur accordions souvent plus qu’un regard furtif. Nous sommes tous des inconnus dans la vie de l’autre. C’est une réalité à la fois intrigante et poignante.

Je ne sais pas ce qui me pousse à écrire cette lettre. C’est peut-être la dernière lettre. La dernière phrase. On ne sait jamais. La vie, elle nous apporte parfois des surprises incertaines. Il est 3h du matin. Port-au-Prince. Je n’arrive pas à dormir. C’est une nuit non seulement blanche mais aussi vide. Un vide qui laisse tout son poids sur mon cœur et mes pensées. J’aime beaucoup la nuit. J’aime sa fraîcheur et son silence. Mais parfois, elle laisse tous les vides du monde sur moi. Un chaos que je n’ai pas toujours la force de soutenir. Je n’ai rien fait à la nuit. Je suis un homme sincère à elle. Je n’ai jamais regardé la nuit dans les yeux. Je respecte ses mystères.

Ce soir, je me sens vide. Et quand le vide est là, je n’y arrive pas à lire. Même pas la force d’écouter un morceau de Franck Sinatra. Je pense à un tas de chose bizarres. Depuis mon existence, j’ai fermé combien de portes ? Quel avenir pour moi dans ce pays de violence ? Comment vais-je finir mes jours ? J’imagine mon corps sans vie exposé comme un objet précieux au regard de mes inconnus.

Photo de Bruno Silva

Les écrivains, les poètes, les journalistes, il y aura bien sûr quelques éloges. Je ne veux pas de discours messieurs dames. J’ai toujours pensé que j’ai tout accompli dans la vie. J’ai aimé. J’ai eu des chagrins d’amour terribles. On m’a aussi aimé parfois.

En écrivant cette lettre, je pense à ma mère, à cette inconnue je ne peux pas citer. Je suis un vieillard jeune dans un corps de 27 ans qui vit dans un pays qui n’a que le vide à lui offrir. Je n’ai pas des larmes au fond de moi. J’ai tout pleuré. Je n’irai pas au ciel avec des provisions de larmes. Quand je mourrai, mon cœur, mon âme, mon corps tous seront légers tel un papillon. Pas lourd. Très léger. Une fleur morte qui voltige.

J’irai dans un pays sans incertitude. Sans chaos. Alors il faut tout pleurer ici bas. Et vous pas besoin de pleurer durant mon voyage. J’ai pleuré pour vous. Je veux des rires à grand éclat. Des poèmes exaltants. Des chants d’espérance. Je sais que les inconnus de ma vie n’apprécieront pas cette lettre. Mais sache que ma vie n’est pas une fête mais plutôt une vallée de larmes.

Quand on vit dans un pays de malheur et de violence on doit penser à sa mort. L’espérance de vie aujourd’hui en Haïti est combien d’années ? Personne ne peut répondre à cette question. l’Européen dira peut-être 50, 60 ans. l’Américain aussi à un chiffre. Les asiatiques, oui. Mais ici, nous n’avons pas d’espérance de vie, mais de mort. Quelle blague. Et je pense que c’est Haïti qui a inventé cette affaire ; l’espérance de mort. Les autres peuples, ils pensent à la vie. Nous, nous pensons à la mort. À la survivance.

Photo de Andrea Bova

Je pense aux actes sanglants. Aux assassinés. Sans compter ce qu’on tue vivants. Moi, je suis un mort vivant parfois. Je marche. Je lis. J’écoute du Sinatra style sur mon haut-parleur. J’ai même donné des fleurs à cette inconnue. Mais je suis un corps qui bouge. Il y en qui sont morts visiblement. Ils y en qui sont morts invisiblement. Je suis de la deuxième catégorie. Et c’est ce que j’y pense en ce moment.

Pourquoi quand je regarde ma mère je souffre autant. Pourquoi je suis inespéré. Je demande pardon aux inconnus de ma vie. Je vous aime. Mais je dois penser, je dois réfléchir. Je dois écrire ma colère, mon tourment. Je dis merci à ces inconnus. Je dis des inconnus parce qu’ils ne voient pas l’intérieur mais plutôt l’extérieur. Ils voient un homme qui écrit des chroniques. Ils voient un homme qui aime la bière, les plats fumants. Ils voient un homme qui aime rire. Mais ils n’ont pas vue cette blessure. Ils n’ont pas vu la nostalgie de vivre dans un pays sans espoir. Cette plaie qui grandit. Qui déchire. Nous sommes tous des inconnus dans la vie de l’autre.

Crois moi si je n’aurai pas l’écriture comme thérapie. Je n’aurai peut-être pas la force de tenir encore debout. C’est mon seul rempart. Les mots, ils sont toujours là pour moi comme les inconnus de ma vie. Ils ne sont jamais absents. Écrire, c’est parfois un acte de résignation.

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Commentaires

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Dire que la mort est peut être la meilleure solution ,plutôt que de vivre dans la peur le désespoir et le stress dommage pas assez de courage pour se suicider .
La misère ne cesse jamais ici 😭