Petite chronique sur les lettres d’amour

Article : Petite chronique sur les lettres d’amour
Crédit: Marc Sony Ricot
13 août 2023

Petite chronique sur les lettres d’amour

Les lettres d’amour, je les écris surtout le week-end. Je n’ai pas de temps durant la semaine. Je dois travailler. Écrire des papiers pour le quotidien que je travaille. Lire des livres et puis marcher. Déambuler dans la ville.

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L’amour dans l’éclat urbain

Ces temps-ci, j’ai une profonde admiration pour la ville. Je ne saurais me passer d’elle, tout comme elle ne pourrait vivre sans moi non plus. Notre amour est réciproque, malgré les fragilités qui l’entourent : les gangs, les politiciens brasseurs, les kidnappings, ect. Je pourrais, à elle aussi, lui écrire une lettre d’amour. Je ne saisis pas toujours ce qui me motive à en écrire une, mais j’aime bien faire ça. Parfois, je les rédige pour ma femme de toutes les rivières, parfois pour mes amies, et parfois pour une femme imaginaire, une créature née de mes songes. Je garde ces lettres au plus profond de moi, comme un père qui glisse un bonbon dans sa poche pour son fils, le portant comme un trésor qui peut le sauver. Pour moi, la lettre d’amour incarne la plus grande élégance.

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Lettre aux inconnus de ma vie

Les femmes haïtiennes, elles aiment bien ça. La lettre n’a pas besoin d’être longue. Il faut une attaque du genre « Chérie je t’écris ce soir. Seul. Dans le silence. Un silence troublé par le bruit de tes pas. Je hume l’odeur de ton corps qui embaume ma vie de douceur et de bonheur. Je t’écris pour te dire comment ta présence est infinie en moi et dans le vent qui souffle sur ma peau« . Voilà. La fille va se dire à elle-même « Waw ! qu’il est élégant ce petit chroniqueur de Port-au-Prince ! » Après cette attaque il ne faut pas cesser. Il faut maintenir le même rythme. Il faut se lever, faire les cent pas, laisser la créativité circuler.

Le chant des mots

On n’écrit pas les lettres d’amour assis sur une table. Ne sois pas paresseux. Il faut marcher et regarder autour de soi. Une phrase peut surgir des fleurs, à travers la fenêtre. Maintiens ce lien avec l’extérieur. J’aime toujours expliquer ce que je fais quand j’écris une lettre d’amour, partager ce que je lis, ce qui s’est passé de remarquable dans ma journée. « Ce soir, je ne voudrais pas te dire je t’aime. Mais je songe à toi. Comme si tu étais plus qu’une simple personne, un dieu incarné. Un dieu qui marche, qui peut être touché, que l’on peut appeler au téléphone. Que l’on peut inviter à Kay83, ce restaurant de Port-au-Prince. Tu sais, mon amour, quand je pense à toi, toute ma vie se concentre dans ton sourire. Ce sourire qui fracasse mon cœur, qui donne vie aux sources d’Haïti. Je songe à toi. J’aime ta présence. Oui, ta présence physique, bien sûr, mais aussi celle que je retrouve dans les fleurs, dans le tumulte du monde, dans cette étoile lointaine, dans la beauté de ce que je vois.« 

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Lettre de loin à une sacrée belle femme d’Haïti

Oh, la fille va prendre ta lettre d’amour très au sérieux. Elle va se dire mon dieu ! Où a-t-il trouvé toutes ces paroles ? Je me souviens de E. Elle m’a dit »J’ai l’impression que, durant ton enfance, on a enfoui ton nombril dans une lettre d’amour. Chaque lettre que tu écris est une lettre d’amour. » J’ai ri. E appréciait ce jeu secret, cette correspondance, quand on écrit une lettre d’amour.

Laisser l’âme écrire à travers soi

Quand on écrit une lettre d’amour, il ne faut pas se presser. Il faut laisser les phrases émerger naturellement en nous, et puis les vider sur le papier ou, à défaut, sur l’ordinateur. Il faut aussi penser à la beauté de la femme qu’on écrit la lettre d’amour. Par exemple, quand j’écris une lettre d’amour pour ma femme de toutes les rivières, je pense toujours à son sourire. Elle a un très beau sourire. Son sourire devient mon refuge lorsque les ténèbres m’envahissent et que la vie m’inonde de chagrin, une échappatoire face à la laideur du monde.

Cependant, certaines femmes n’apprécient pas autant les lettres d’amour. Elles préfèrent les paroles d’amour. Ce sont deux trucs différents. Moi, je suis trop timide. Je pourrais écrire une dizaine de lettres d’amour chaque week-end, mais prononcer une dizaine de mots doux par an seulement. Je suis plus charmeur quand j’écris. Je perce son cœur avec ma plume, pas avec ma voix. Parfois, je rumine des paroles d’amour, mais quand la fille est présente, silence. Je ris. J’aime rire quand je vois une belle femme créole. Un rire malicieux.

La fierté des femmes haïtiennes

Ma mère m’a avoué qu’elle avait reçu deux lettres d’amour durant son enfance. Moi, je commence à me fatiguer d’écrire, cependant, les femmes haïtiennes ont un faible pour les lettres d’amour. Quand elles reçoivent une lettre d’amour elle montrent cela à tout leur entourage. En Haïti, une lettre d’amour est une grande preuve d’amour. Si tu veux t’enraciner éternellement dans la vie d’une femme haïtienne, envoie-lui en une. Elle la gardera comme un trésor précieux, rangée dans ce buffet aux côtés de son acte de naissance, sa carte d’identité et son passeport. Comme si la lettre d’amour était un laisser-passer.

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J’étais aussi poète

J’étais chez M cette semaine. Elle a une belle petite bibliothèque. Les livres sont poussiéreux. Elle ne lit pas, malheureusement. Je trouve Marquez, Roman Gary, Gary Victor et des tas de livres que je ne connais pas. En fouillant les livres, elle m’a dit « J’ai deux lettres d’amour ici« . Tu vois, elle m’a dit ça juste pour me faire savoir qu’elle aussi a reçu des lettres d’amour.

Au fond, je ne sais pourquoi j’écris cette chronique. Je n’ai rien de particulier à faire. Ma vie est vide ce soir. Je regarde par la fenêtre. Toute la ville se dévoile devant moi. J’y vois des visages, des nuages sombres, des lumières clignotantes, des maisons délabrées. Mais, par-dessus tout, je distingue ta présence, mon amour. Je te perçois chaque fois que je scrute la ville. Tu es le potomitan, ce poteau central dans le temple vaudou. Tu en es le visage. Sans toi, que serait-elle ? Peut-être triste et abandonnée. Regarde la ville par ta fenêtre ce soir, mon amour, et pense à moi. Tu es la ville de mes songes.

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Commentaires

Beth-Sarah Nicolas
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