Pays lock, barricades, confinement, ça n’en finit pas en Haïti
Cela fait plusieurs jours que les rues sont bloquées. Les banques sont fermées. Le service d’urgence des hôpitaux fonctionne au ralenti. Depuis lundi ; pays lock, confinements. Barricades. Les écoles, les universités, il n’y a rien qui fonctionne. C’est le vide absolu, le néant. Les revendications sont énormes. Ma mère habite en Plaine du cul de Sac dans un quartier très mouvementé. Je viens à peine de parler avec elle au téléphone. J’essaie d’être gai, vivant. J’essaie d’être un homme fort devant les inquiétudes de sa voix. Cette voix triste et tremblante. Cette voix orageuse. Au fond de moi, j’ai l’impression que c’est notre dernière conversation. Avant de raccrocher, j’ai envie de l’embrasser très fort, lui dire que je l’aime, que sans elle ma vie sera triste et perdue dans le vide de la nuit.
La vie va reprendre son souffle. L’espoir va revenir. Tout rentrera dans l’ordre. Je voulais être fort et responsable. Je voulais lui dire des phrases qui l’apaisent, mais le danger est trop réel, trop visible. J’ai caché mes larmes. J’ai envie de pleurer haut et fort ! Assez, assez foutez nous la paix. Maman est malade, le psychologue demande qu’elle habite dans un lieu calme et serein. Mais qui m’entendra ? Le vent, le soleil, les voisins ?
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Dans cette chambre de Delmas 60, je suis l’un parmi les milliers de jeunes haïtiens qui souffrent, qui meurent à petit feu. Ici, on vit pour mourir à petit feu. Les crises nous écrasent. Les crises rentrent dans nos veines, nos têtes. Les crises nous enivrent. Nous sommes nés dans la crise et nous grandissons dans la crise. Nous sommes une génération de crise.
Je suis l’un parmi des milliers de jeunes haïtiens qui sont désespérés, découragés. Mon cœur bat à un rythme irrégulier. Je regarde par la fenêtre, je n’ai vu aucun signe d’espoir. Les arbres sont tristes. Le temps est sombre. Le silence est suspect et fragile. J’ai l’impression que c’est vraiment notre dernière conversation. La voix de ma mère est gravement incertaine. Il y a de la souffrance, de la peur, de la nostalgie de vivre. Comme les voix des condamnées qu’on entend dans les films d’horreur.
Je garde mon sang froid. Je suis un homme fort, me dis-je à voix basse. Au téléphone, les balles résonnent comme si le tireur est à deux pâtés de moi. Les balles rentrent dans mon estomac. Je tremble. Mes pieds sont légers. Je ressens des étourdissements. Les balles m’empêchent d’entendre sa voix. « Depuis ce matin on tire sans cesse. Tu entends les balles. Tu entends. Je n’approche pas les fenêtres. Je n’ai ni d’eau ni rien à manger. Je n’ai pas vu Peter (mon grand frère) depuis ce matin ». Je lui ai dit que ça va cesser. J’ai menti. J’ai menti pour qu’elle garde son sang-froid. J’ai menti pour sauver son optimisme. J’ai menti pour de bon. Dehors, c’est le vide, la panique. Dehors, les balles tombent comme des pluies fines.
La dernière fois, une balle perdue tombait au côté de son pied gauche. Je me sens l’homme le plus fou du monde. J’ai raccroché. Je n’ai aucune force d’appeler une prochaine fois. Si j’écoute April in paris c’est peut-être pour me donner un peu de force. Je marche dans les rues de Port-au-Prince comme un zombie. Je n’ai plus la force de vivre. Je n’ai plus la force d’espérer. Quand on perd la force de l’espérance on perd tout, même soi-même.
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